Parfois, j’attends juste un peu trop longtemps pour renouveler mes médicaments. Pas trop, il m’en reste toujours assez pour ne pas tomber à sec, mais juste assez peu pour que ce soit à un jour près. Ou le jour même.
De même, une fois de temps en temps, je m’autorise à sauter une prise, pour une raison futile. C’est dimanche. J’ai mal dormi. Je suis las. Ou au contraire, comme une récompense, parce qu’il fait beau ou que je suis content. Je le fais avec d’autant plus de facilité, soyons honnête, que les dernières études montrent qu’on peut suspendre le traitement plusieurs jours sans conséquences sur le contrôle du virus. Nos pilules sont dosées pour compenser nos sauts de prise, comme le compteur vitesse des bagnoles affiche toujours 5 kilomètres/heure de trop pour nous faire ralentir.
La plupart du temps, je n’y pense pas trop. Plusieurs fois par jour, je suis obligé de me demander quand je vais les prendre. Puis je dois me rappeler si je les ai bien pris. J’y pense comme je pense à boire de l’eau ou à ouvrir la fenêtre pour aérer : Parce que je dois et parce que c’est bon pour moi. Je n’y pense pas, mais c’est là. Comme un trou dans ma poche.
Une partie de moi a toujours du mal à croire qu’on me laisse la responsabilité de prendre le traitement qui me garde en vie. Ils savent que je pourrais juste arrêter de le prendre? d’ailleurs, des fois, je suis fatigué de le prendre. Alors, je joue avec les limites.
Ces petits moments-là, ce jour de repos, ces heures sans médicaments, c’est ma résistance, mon petit excès de vitesse sur route dégagée. Le déraisonnable dérapage contrôlé qui me rend à moi-même. La prise redevient un choix, et non une obligation; le renouvellement, une vraie décision. Je reprends les médocs et, le CDD reconduit, je peux continuer le voyage.