– C’est toujours aussi plein ?
– Ah oui, le matin, c’est toujours comme ça, ça n’arrête pas, mais aujourd’hui, c’est spécial, je ne sais pas ce qui ce passe.
– Non, parce que je ne suis pas venu depuis longtemps, mais la dernière fois, il y avait moins de monde, beaucoup moins de monde.
– Si vous voulez attendre moins longtemps, vous pouvez venir l’après-midi, les gens préfèrent venir avant pour les examens à jeun. Mais venez avant 18h, c’est important.
– C’est gentil, attendre ne me dérange pas. C’est seulement, ce monde, ça me surprend.
– Voilà votre carte, monsieur. On vous appelle tout de suite
En fait, il y avait tellement monde que tous les fauteuils de la salle étaient pris. Je n’avais jamais vu le laboratoire d’analyses aussi rempli. Et pourtant, ça fait 8 ans que je viens, même si par la force des chose, je n’étais pas venu ici depuis 3 ans. C’est un labo du centre, proche du Village et je sais que ça n’a pas de valeur épidémiologique, mais ça doit vouloir dire quelque chose, tous ces gens. Tous ses pédés séropos. C’est un message, un signe. Et la seule chose à laquelle je pensais en regardant tous ces pédés lipodystrophiés, c’était : Eh bien, ça va nous en faire, du roman de séropo triste.
Je ne sais pas quoi faire de ce signe, moi, je suis sur un siège dans cette salle d’attente, dans laquelle je viens depuis 8 ans, en essayant d’avoir l’air détendu, en prétendant être un vieux de la vieille, mais ces tests, que je les déteste, je les repousse le plus possible jusqu’à avoir la force de les faire. Comme j’apprécie tellement l’accueil attentif que prodiguent ces infirmières. Je repars en ne comprenant pas vraiment pourquoi j’ai des larmes dans les yeux alors que je connais l’histoire et que tout va bien pour moi. Vraiment, je suis surpris de retrouver ici cette petite mare de larmes oubliée, pas de l’apitoiement, même pas de la mélancolie, non, juste une petite écharde de chagrin aiguë. C’est comme se réveiller en pleurant. C’est peut-être les larmes dans nos yeux qui nous empêchent de lire les signes.