Spire, un jDR révolutionnaire

Extrait de la couverture originale du JDR "Spire", il s'agit de la devanture sombre d'un bâtiment couvert de tuyaux et deux personnes dissimulés dans l'ombre de la façade, à droite.
Couverture de l’édition originale anglaise de Spire. DR

Gros coup de coeur pour Spire – Le soulèvement, de Grant Howitt et Christopher Taylor, traduit par Barbu Inc en France, et qui nous propose de jouer des drows, des elfes des profondeurs, cherchant à libérer leur ville, Spire (Flèche, en anglais, puisqu’il s’agit d’une ville verticale), et leurs existences de la tyrannie des «hauts» elfes, les aelfirs. La proposition est l’occasion de renverser ou de questionner les notions traditionnelles de bien et de mal dans un contexte médiéval-fantastique, puisque les «méchants» sont les jolis elfes et les drows, traditionnels antagonistes mauvais dans les royaumes oubliés de D&D, sont la caste opprimée de la ville. Bon, je dis ça pour simplifier, mais le jeu se débrouille pas mal pour flouter ce qui est d’habitude encadré par la notion forcément réductrice d’alignement des personnages.

Illustration de la classe de brandon du jdr Spire, une silhouette de révolutionnaire armé et masqué brandissant à drapeau sombre devant une grande affiche où il y a écrit "Wanted".
J’aime beaucoup le style des illustrations d’Adrian Stone. DR: Spire

Noir, c’est gris

Ceci dit, le ton est globalement dark. Du médieval-fantastique ombreux, pas steam punk mais presque: la poudre à canon a été inventée par les humains et de sombre machines magiques sont utilisées pour faire tourner la ville e toutes sortes d’intrigues. Du coup, j’avais peur que le côté edgy du monde n’apporte son lot habituel de dérives réactionnaires. Mais il semblerait que les auteurs aient décidé de faire attention un minimum aux questions politiques. Ce qui pour un jeu proposant d’incarner des révolutionnaires, est assez rassurant.

Ainsi, il est rappelé, ok rapidement, que «à Spire, l’égalité des genres est un concept largement répandu», que les drows —à tort souvent appelés en français elfes noirs— ne sont pas tous forcément noirs, et que s’ils sont soumis à une «corvée» de longue durée par les hauts elfes, les auteurs se sont tenus à distance sciemment du concept d’esclavage. Un encadré est d’ailleurs consacré à cette question, on peut y lire : 

Le sujet de l’esclavage – le véritable esclavage, celui où des êtres humains sont vendus et achetés comme s’il s’agissait de biens matériels – est difficile à aborder, et nous ne pensons pas avoir les épaules assez solides pour nous y attaquer. C’est pourquoi nous avons décidé de rendre l’esclavage illégal à Spire, au même titre que le meurtre ou le vol. Bien que des personnes s’adonnent à cette activité, comme c’est le cas dans le monde réel, cela n’a rien d’un commerce organisé et systématisé. Si vous voulez explorer ce thème dans vos parties, avec les implications morales d’une légalisation de l’esclavage et d’un oppresseur qui ne se cache pas de faire commerce d’un peuple opprimé, lancez-vous, mais en ce qui nous concerne, nous ne voulions pas nous aventurer sur cette voie.

(Notons qu’en V.O., la dernière phrase était «that’s not a story we’re interested in trying to tell».)

Parallèlement, les auteurs proposent l’utilisation de la carte X (pour que les joueuses puissent couper court à toute situation problématique) et/ou du système des lignes rouges et des voiles, pour définir ensemble les thèmes qui seront évoqués et ceux qui seront évités.

Spire, c’est donc un JDR avec un setting dark dans un système qui essaye d’être safe (à défaut d’un meilleur mot). Je ne savais pas que ça me manquait autant. Bien sûr, vu le contexte puant actuel, on est pas à l’abri d’apprendre que les auteurs sont des crypto-fascistes ou des macronistes, mais j’ai bon espoir que non. 

Un système léger

Ce n’est pas du dd5 —avec lequel je n’ai par ailleurs aucun problème, sorry not sorry— et c’est une bonne nouvelle. Le système cherche à se faire oublier; les auteurs ne recommandent d’effectuer des jets de dés que lorsque qu’il y a un enjeu pour les joueuses. Sinon, c’est la narration qui prime.

Globalement, je pense que ça penche plus du côté (sans s’apparenter) à des systèmes type PBTA et sur l’idée de créer ensemble une histoire. Ainsi, le déroulé du scénario inclu dans le livre n’est pas écrit en détail, il s’agit d’une proposition de factions et de fronts dans un cadre donné, avec des conseils pour faire avancer l’histoire en fonction des actions des joueuses. Ce n’est pas une critique du tout, mais ça peut être désarçonnant pour des MJs débutantes ou habituer à des scénars moins ouverts. Je pense que c’est aussi l’occasion pour la MJ de se décoller de ses notes pour d’accompagner la création narrative des joueuses. 

Et de l’agentivité, les joueuses en auront grâce à leurs personnages: Les classes sont toutes originales (brandon, nourricière ou prêtre charognard par exemple) avec un très grand sentiment de puissance dans certains cas, qui renforce l’impression que les personnages sont comme des bâtons de dynamite : très puissants, explosifs et forcément fugaces. 

Une silhouette masqué et armé, avec une grande cape rouge, devant une pleine lune.
DR : Spire.

Système de stress et évolution des personnages

C’est d’ailleurs ce qui peut refroidir certaines personnes : Les personnages vont en baver. La situation initiale est bien verrouillée, et la révolution ne se fera pas en un jour. Les PJs vont prendre des coups et risquent souvent la mort, tout en faisant face à des dilemmes moraux potentiellement destabilisant: iels n’affrontent pas des monstres, mais des êtres «humains», dont la MJ devra épaissir la nature humaine et faillible. 

Ya de grandes possibilités que les persos «vieillissent» vite et durement. En terme de système, les échecs aux jets de dés peuvent entrainer des points de stress et donc des contrecoups plus ou moins graves, dont il faudra tenir compte dans la narration. Ce même système de stress est utilisé pour gérer la santé, l’argent ou la réputation, et c’est assez rafraichissant. Là encore, l’idée est que le système se fasse le plus petit possible pour que le jeu se déploie. 

La perfection n’existe pas

Cette proposition de JDR m’a suffisamment séduite pour que j’écrive une critique (c’est la première fois), mais pour autant, rien n’est parfait, et Spire non plus. La description de la ville et sa (ses) culture prend une bonne partie du livre, et toutes les pages proposent des idées nouvelles. Si ça satisfait mon cerveau hyperactif, ça complique aussi la capacité à permettre aux joueuses de se retrouver en terrain commun: Si tout est nouveau et original, ça demande un gros travail d’assimilation du concept par les personnes autour de la table, et pas mal de travail de la part du maître de jeu pour isoler une partie de la ville comme terrain de jeu des persos. Enfin, et c’est peut-être personnel, est-ce que j’ai vraiment besoin d’échouer à faire la révolution en jeu comme dans la vie réelle, je ne sais pas. Mais, comme dans la vie réelle, j’ai très envie d’essayer. 

— A lire également, cette chouette critique par un fellow quarantenaire : Review (VF): Spire, le Soulèvement: Fantasy punk!
— Aussi, un .pdf de règles simplifiés et de personnages pré-tirés est disponible gratuitement sur le site des auteurs (en anglais).


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