5.39

Je traverse une école and it’s a fucking riot. Ce que je prenais au début pour des rues calmes fait en fait partie d’un grand centre d’étude, probablement un lycée, peut-être auto-géré. L’architecture est typique des grands lycées parisiens, la pierre de taille rénovée, même si l’atmosphère du lieu ressemble plus au chaos familier d’une université. Puis, je remarque les débris, les chaises et les tables cassées, jetées ça et là. De la fumée s’échappe de la grosse benne bleue sous l’arche qui mène à la porte principale, condamnée.

En tournant à gauche, je croise un groupe de jeunes gens, habillés pour la guérilla avec les moyens du bord. Ils sont sales et ils s’en foutent, il lèvent les yeux sur moi sans lever la tête. Mon visage ne cille pas, mais je me demande si ma façon de m’habiller peut me faire passer pour l’un d’entre eux. Ils ne bougent pas tandis que je les dépasse. Ils attendent visiblement quelque chose.

J’arrive sur une cour intérieur, sans avoir croisé le moindre adulte ou une seule figure d’autorité. Devant moi marchent des étudiants qui ont l’air pressés de sortir de l’établissement et sur ma droite, à chaque étage, à chaque fenêtre, des grappes de jeunes qui crient, mais en silence. Le bruit devrait être assourdissant mais je peux distinctement entendre le bruit de la pluie. Une bouteille de cocktail Molotoff s’écrase sur un jeune homme devant moi, le trempant d’un liquide épais. Il jure en se massant la tête mais accélstère le pas tandis que sa petite amie lui prend le bras.

Ce n’est pas le moment de faire un scandale, nous sommes sur la tranche des moments, au bord du basculement et chacun a retrouvé sa priorité : aller le plus loin possible, loin d’ici. Trois personnes, dont une jeune fille avec une jupe ample sautent du premier étage, des cocktails allumés à la main. Je sers les dents en pensant à leur jambes mais je ne peux pas détourner la tête. Ils atterrissent sur leurs pieds, simplement, avec un regard fou, toujours avec le minimum de bruit, toujours lentement. Je me hâte vers la porte secondaire, avec un groupe de trois ou quatre jeunes filles, qui essayent de ne pas paniquer. Personne ne court, pour ne pas faire basculer le moment.

La petite brune juste devant moi s’arrête et regarde à gauche, l’air inquiet, au delà de la terreur. Je tourne la tête pour voir une femme en jeans blancs entourées par quatre garçons. L’un d’entre eux fouille dans le sac en toile militaire de la fille pendant que les deux autres arrachent le haut de la femme qui tente toujours de rejoindre la sortie, au moins du bout du pied gauche, en extension. Le quatrième se tient debout juste à côté de la femme qui cherche à partir. Les mains dans les poche, il regarde les rives du lac, de l’autre côté de la porte. Son visage n’exprime rien. C’est, sans l’ombre d’un doute, le chef. La petite brune devant moi n’arrive pas à détacher les yeux de la scène tandis que je la pousse doucement vers la sortie, guidant les autres du son de ma voix.

C’est comme si tout l’air avait été chassé de l’école, les sons ne portent plus, les voix n’ont pas de modulations, elles ne sont plus cris ou murmures, elles sont ou ne sont pas et si elles sont, elles sont discrètes comme des didascalies. Plates, mais essentielles. Sans même y penser, je viens de faire un choix. J’ai abandonné la femme parce que je n’avais aucune possibilité de l’aider, je continue vers la sortie qui se trouve devant moi en marchant rapidement, en guidant du bras les jeunes filles qui étaient avec moi. Elles passent le portillon devant moi et c’est sans un regard en arrière que je quitte l’enceinte de l’école.

Dans la rue déserte, personne ne prête attention à ce qui se passe à l’intérieur, ni à l’exploit que constitue notre sortie. Sur le haut du mur extérieur, postés comme des corneilles, attendant, des jeunes insurgés agitent lentement des drapeaux. Je suis seul. Je me rappelle que je suis déjà venu dans les environs et que j’avais vu cette école et les jeunes rebelles. Je n’en avais pas parlé. Ni à moi, ni à personne. Je finis par reconnaître les rues, en particulier la rue Sherbourne, que je prends en vélo le matin pour aller travailler, sauf que je n’avais pas remarqué qu’elle ressemblait à ça, là où elle s’arrête sur les rives du lac. Je pense rapidement à Toulouse, aux rives de la Garonne, et aussi que c’est à ça qu’une autoroute qui finirait abruptement sur les quais de l’ôle de la Citée ressemblerait.

Je retrouve l’adresse d’un café à la programmation pointue tenu par des artistes. Je fais rapidement le tour du petit local en essayant de gêner le moins possible les clients qui regardent un film en noir et blanc. Je ne vois personne de connu, particulièrement pas la personne que je cherchais. Je décide de partir, mais je ne fais accrocher dans l’espace fumeur par une vague connaissance qui a l’air blessé que je ne la salue pas. Je commence à parler, un peu, d’abord en français puis ensuite en anglais, en leur demandant si elles, puisque toutes celles qui participent à la conversation sont des femmes, connaissent cette école, près de la fin de la rue Sherbourne, au bord du lac, si elles savent qu’une émeute s’y déroule. Des hommes écoutent mais ne disent rien. Les femmes entretiennent la conversation en me disant que oui. Rien de plus. ça ne me surprend pas, ni ne me choque.

Je me réveille en sueur, sous le ciel couvert d’orage de Toronto, mon T-shirt «Nous sommes la gauche» tout entortillé et l’épaule douloureuse d’avoir eu mon bras droit coincé sous moi. Mon ventilateur brasse silencieusement l’air humide. Il est 17h39. Dans ma douche, l’orage, ou peut-être la voisine, a fait remonter par la bonde de l’eau sombre où flottent des feuilles de menthe, qui s’attardera quelques heures avant de repartir.


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