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Depuis presque un mois, nous recevons tous les jours des témoignages d’amour, de manque, de tristesse, de joie, qui nous rappellent combien Béa par sa chaleur, sa liberté, sa force, son humour, a bouleversé les vies des personnes qu’elle a croisées. Bien sûr, on le savait, nous l’avons regardé toute notre vie réchauffer de son regard et de son sourire les personnes autour d’elle, et, une fois notre gêne d’enfant dépassée, nous étions terriblement fiers de la joie qui jaillissait naturellement d’elle. Dans la tempête de douleur que nous traversons, savoir que tant de personnes se sont réchauffées à son soleil nous aide à tenir, hier, aujourd’hui et demain.
Merci à vous toutes et tous, d’être ici aujourd’hui avec nous pour dire au revoir à Béa. Merci également aux personnes qui n’ont pas pu faire le déplacement mais qui sont présentes par la pensée.
Je ne vais pas faire une hagiographie de Béatrice, d’abord parce qu’elle aurait détesté, et surtout parce que le chemin a été compliqué, entre nous. Longtemps, l’alcool a tout dévoré. Béa en parlait, librement, avec humilité d’abord, puis fierté ensuite, de savoir qu’elle avait remis le démon à sa place. Elle était abstinente depuis 22 ans, mais ne tirait pourtant aucune supériorité morale de cette incroyable victoire, juste la joie, profonde et justifiée, d’avoir réussi à reprendre le contrôle de sa propre vie, pour elle-même et pour ses proches.
Ses proches connaissaient la force des sentiments qui animaient Béa. Elle était volcanique, riait fort, pleurait souvent devant les films, et ne supportait pas l’injustice. C’était dur parfois, de vivre dans la chaleur de quelqu’un qui vit si fort. Parfois, l’amour est suffocant et il m’a fallu trouver la bonne distance, afin d’enfin être fier, d’elle d’abord, mais aussi de notre petite famille, qui a su se retrouver et se connaître, malgré les épreuves, dans la franchise et l’amour, non seulement en tant que proches, mais aussi en tant que personnes merveilleusement complexes.
Souvent, j’aurais voulu enregistrer la voix de Béa, pour conserver son histoire et à travers sa parole, l’histoire familiale. Je n’ai jamais pris le temps de le faire, et quand elle a été hospitalisée, j’ai eu honte de n’avoir jamais porter ce projet à terme. Puis, rapidement, assis sur le bord de son lit d’hôpital, j’ai compris que ce projet inachevé, c’était d’abord ma façon de refuser qu’elle disparaisse. Sa main dans ma main, j’ai fait la paix avec cette terreur, parce qu’elle me le demandait implicitement, et je me suis concentré sur l’important : Elle, nous ses enfants, ses petits-enfants, la famille, les amis, les mots qui comptent. Je t’aime. Ça va aller. Tout le monde est avec toi. Nous sommes où nous voulons être. Emilie et moi sommes là l’une pour l’autre. Poser les mains sur son corps, qui s’est dégradé si vite. L’odeur du Chanel 5 sur sa peau. Parler, jusqu’au dernier moment, même après qu’elle ne réponde plus, et essayer, avec un quart de la grâce qu’elle a manifestée, d’être à la hauteur de son choix et du moment, avec elle, comme toujours et à jamais.
Aujourd’hui, il y a la douleur face à l’arbitraire de la maladie, nos larmes face à l’inéluctable de l’absence, mais qu’il y ait aussi son rire, éclatant, excessif, insupportable, entraînant, vivant.
Que son souvenir nous soit, comme elle le fut de son vivant, un refuge, une maison, une porte ouverte.
Qu’il y ait son amour, enfin, entier, terrible et rayonnant au-delà de la mort, qu’il nous baigne et nous guide, comme son humilité et son intelligence, sur le chemin de liberté qu’elle a chéri toute sa vie.
Adieu, Béa.
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