Pour la première fois, j’ai tenté cette année de faire le Nanowrimo. Pour celleux qui ne connaissent pas, le but de ce défi collectif, «National Novel Writing Month», est d’écrire 50000 mots durant le mois de novembre, soit 1666 environ par jour. Ce qui est beaucoup, comme je l’ai découvert rapidement.
On peut, si on veut, s’inscrire sur le site dédié de l’association américaine organisatrice, mais j’avais déjà du mal avec l’idée de participer à un truc collectif, et je sais aussi d’expérience que si j’annonce trop largement un projet, mon cerveau considère que je l’ai déjà fait et j’ai tendance à enterrer l’idée. Du coup, j’ai juste essayé de m’y mettre. Le but est d’écrire, simplement écrire, surtout pas de réécrire, pour qu’à la fin du mois, on ait l’équivalent de la première version d’un roman.
J’ai un nombre incalculable de débuts de roman qui trainent, des idées (que je trouve) intéressantes, mais je suis incapable de me coller à l’écriture. Il m’est physiquement impossible de rester devant mon écran, pour écrire, régulièrement, jour après jour. Pourtant ma jauge intérieure se remplit, j’ai beau avoir besoin d’écrire, mais mon cerveau bugue.
Depuis des années, je me dit que c’est la preuve que je n’étais pas fait pour écrire autre chose que des entrées de blog ou des tweets. Mais je n’arrive pas à arrêter d’essayer et donc, je me suis dit, ok, j’ai rien à perdre, je vais essayer Nanowrimo. Voici ce que j’ai appris.
- Déjà, j’ai appris très rapidement que je n’aurais pas un roman de 50000 mot à la fin du mois, que j’arriverais pas à tenir cet objectif. Mais le but de Nanowrimo est avant tout d’écrire, donc, après avoir stressé dessus pendant 3 jours, j’ai continué à écrire ce que je pouvais, en faisant redescendre la pression et parce que j’aimais ce que je ressentais en écrivant.
- J’ai donc appris que 50 000 mots, enfin surtout que 1666 mots quotidiens, c’est beaucoup. J’ai beau être journaliste, et écrire des articles souvent conséquents, l’exercice d’écriture de contenu (relativement) long et journalier provoque quelque chose de spécifique, une sorte de libération, de dérouillement de la plume. Le sentiment que ça m’a rappelé, c’est le second souffle qu’on atteint en sport, après les premières minutes où on a l’impression qu’on va cracher nos poumons et mourir.
- Chaque jour, Nanowrimo m’a obligé à réfléchir à quand j’allais écrire. J’ai (re)découvert que je ne suis pas capable d’écrire à n’importe quel moment de la journée. On voit beaucoup de conseils sur quand le faire, qui déclarent de manière empirique que le matin, c’est le mieux, mais c’est faux, il faut que vous trouviez votre moment. Moi, le matin, je ne suis pas capable, je suis à peine fonctionnel. Par contre, après 15h, je suis chaud et les jus créatifs circulent. Le problème devenant: c’est une plage horaire assez courte, finalement, surtout quand mon métier, c’est aussi… écrire des articles.
- Ce qui constitue une limite spécifique à mon métier: En tant que journaliste, j’ai trouvé l’exercice un peu compliqué certains jours. Après avoir écrit un texte de 2000 signes, ou quelques brèves de 500, mon réservoir intérieur d’écriture était souvent diminué, et j’avais du mal à remettre un sou dans la machine pour réécrire en plus pour mon à-côté.
- Toujours à propos du temps, le défi m’a permit de mesurer en temps réel, pas en temps «évalué» ou fantasmé, le temps que l’écriture prend. J’ai beau écrire depuis longtemps, j’ai tendance à écrire par petits bouts, et m’interrompre régulièrement pour vérifier des informations. Hors, dans le cadre d’un exercice d’écriture tel que le Nanowrimo, j’ai pu me rendre compte qu’écrire prend, mécaniquement, du temps. Je peux écrire vite, mais il y a un temps de l’écriture qui est incompressible, surtout à partir de 1500 mots. Les organisateurices ne plaisantent pas quand iels conseillent de s’organiser AVANT le 1 jour du mois de novembre.
- Même pendant Nanowrimo, on peut pas forcément se permettre d’écrire comme il le faudrait. J’ai découvert que je ne pouvais pas écrire tous les jours, parce que la vraie vie ne s’arrête pas, et que des fois, c’est juste pas possible, personnellement, de dégager du temps pour écrire. En revanche, ce que ça m’a donné, c’est un but, une sorte d’obligation consentie d’écrire quand le temps pour écrire surgit. Comment on fait la différence entre ? Ça devient plus clair.
- Au sujet du sujet, ça a été assez stressant de choisir sur quoi j’allais travailler. Il est conseillé de choisir une idée qu’on a un peu développé, ou même un texte déjà entamé pour le retravailler. J’ai choisi de continuer une petite histoire sans prétention, sans pression, mais qui m’appelait depuis un moment, et non le Gros Projet® paralysant, et je crois que j’ai bien fait. J’ai noté, quelques jours avant le 1er novembre, quelques idées dans une sorte de plan-squelette et j’avais quelques éléments déjà rédigés, que j’ai pu utiliser comme une sorte d’accroche pour ne pas craindre (ou convoquer) la panne sèche d’inspiration.
- Assez rapidement, en m’astreignant à écrire tous les jours, j’ai retrouvé un certain plaisir d’écrire, et je me suis revu au collège, en classe de latin ou de philosophie, quand j’écrivais des romans juste pour supporter ces longues heures. Ça m’a rappelé quand l’écriture était un refuge, et non une contrainte ou une source d’angoisse.
- En écrivant, j’ai aussi retrouvé, en me remettant chaque jour ou presque sur mon texte en cours, le plaisir de replonger dans mon «flow»: J’ai eu plaisir à retrouver ma petite histoire en cours d’écriture, le moment du chapitre en cours, et même, l’envie de pouvoir continuer à écrire la partie en cours est devenue motivation, comme une gourmandise à venir.
- Autre intérêt, en m’astreignant à écrire au moins 1500 mots, je me suis retrouvé à étirer ma pensée pour atteindre le quota journalier, et mécaniquement, ça m’a permis de developper le fil de mon histoire et mes idées. J’ai tendance, on me l’a fait remarqué, à laisser beaucoup de travail d’interprétation et de compréhension au lecteur, et l’exercice m’a permis d’étaler les scènes et les situations comme une pâte à tarte qu’on étire jusqu’à ce qu’elle remplisse le plat.
- Le “devoir écrire”, la quantité avant la qualité, comme le propose Nanowrimo, a un effet secondaire pas si secondaire que ça: ça fait taire la petite voix intérieur qui nous raconte constamment que ce qu’on écrit, c’est pas assez bien. Oui, c’est pas assez bien mais ça n’est pas le propos. Ce qu’on écrit aura probablement besoin d’être réécrit pour être interessant. Mais pour réécrire, il faut d’abord écrire. Ça semble débile, dit comme ça, mais pour moi, c’était une révélation. Et, j’ai enfin ressenti ce que plusieurs personnes m’avaient expliqué: Pour écrire, il faut écrire.
- Un hasard du calendrier a coloré mon expérience personnelle de Nanowrimo. Dans la deuxième partie du mois, alors que je me commençais à me résoudre de ne pas «réussir» mon Nanowrimo, j’ai finalement eu un rendez-vous que j’attendais depuis longtemps, et un diagnostic qui a confirmé ce que je soupçonnais depuis un moment: j’ai un trouble du déficit de l’attention, un TDAH, qui rend tout travail de concentration compliqué, pour le moins. Ma culpabilité allégée par cet éclairage, j’ai pu continuer d’explorer le défi à mon rythme, sans pression, mais toujours avec intérêt.
- Enfin, j’ai quand même écrit beaucoup plus qu’au cours des mois précédents, j’ai un début d’histoire qui me plaît, un plan-squelette et des idées qui me titillent l’imagination, et je me suis autorisé, de nouveau, à écrire ce qui me faisait envie. J’espère, une fois que j’aurais intégré la composante TDAH à mon processus d’écriture, pouvoir continuer ce voyage. Je ne sais pas si le format est adapté à mon fonctionnement, mais je crois que je réessaierai, sûrement à un autre moment de l’année, moins compliqué au niveau boulot (novembre est souvent chargé), idéalement pendant un mois d’été ou si l’occasion se présente, pendant un mois de congé posé spécialement pour écrire.