Les marqueurs du soi

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Dans la presse, les candidats pour la présidence de l’UE sont tous blancs, hétéros (publiquement) et mâles. Mary Robinson a jeté l’éponge, on ne sait pas si c’est la perspective de travailler avec des hommes pareils ou si c’est essuyer les plâtres qui lui a fait le plus peur. Dans le métro, Megan Fox s’affiche en retouchée intégrale, grandeur nature dans les couloirs. ä Gare de l’Est, quelqu’un a écrit au marqueur «pute» en majuscules, sur son front. Suivi de «Je t’encule».

Rétrospectivement, on dirait que l’affiche a été réalisée dans ce but, peut-être inconsciemment. Les graphistes ont même laissé la place pour, en plein milieu du front, bien dégagé. La goutte coulant du coin de sa bouche n’a pas du aider non plus à adoucir l’image de cette femme prédatrice, donc dangereuse; il fallait la remettre à sa place. D’un mot lapidaire, qui nous ramène au coeur de la question des rapports entre les genres, à l’argent et au sexe.

Dans ce mot, je lis les salaires moins élevés des femmes et toutes les injustices de 2000 ans de sexisme; Les femmes qui doivent parfois vendre un corps dont on oublie qu’il est le leur; Les travailleuses du sexe qui ont été les premières victimes collatérales de l’ambition de Nicolas Sarkozy, alors encore ministre de l’Intérieur. Au même moment, les sans-papiers commençaient à lui servir d’épouvantails pour construire sa politique sécuritaire du chiffre et des opérations de déportations. Le fantasme de la femme à la sexualité incontrôlable et le délire de l’étranger qui vient s’infiltrer dans votre maison. Les femmes et les étrangers. 

Je suis dans le métro. Je passe d’une rame pleine de Français (une définition simple à l’intention d’Eric Besson : ça veut dire des gens qui habitent en France) de toutes les minorités à des soirées où tout le monde est blanc. Visiblement, que ce soit sur la ligne 9 ou ailleurs, nous ne descendons pas tous aux mêmes arrêts.

Je repense à mon école primaire, dans le Ve arrondissement, à Geneviève, qui était la seule Africaine de notre classe, et je crois de l’établissement. Poussée par notre instituteur, elle nous avait parlé de son pays d’origine, la Haute-Volta, devenue le Burkina Faso. Je ne sais pas comment elle avait vécu cette exposition, mais moi, ça m’a marqué. Elle n’était pas moins française pour moi, on jouait ensemble dans la cour, c’est simple en fait. 

Cette violence envers les femmes dans le métro, cette violence dans la façon dont nous traitons les étrangers, elle me fait honte, je ne comprends pas que les gens ne meurent pas de honte d’être aussi ignobles. 

L’insécurité que je connais, ce n’est pas celle dont Nicolas Sarkozy a fait son fond de commerce. Elle n’est pas provoquée par la peur de l’étranger ou par la menace d’une égalité des sexes. Elle est le résultat d’une politique raciste à grande échelle, du sexisme ordinaire dont la société est encore gangrenée, elle est la face sombre de la France, le pays qui rejette ses propres composants, comme le corps souffrant d’une maladie auto-immune qui ne sait plus reconnaître les marqueurs du soi.


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